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Le recyclage : un vaste enfumage - Flore Berlingen 2021

RECYCLAGE=ENFUMAGE

Flore Berlingen connait bien ce dont elle parle : elle a été directrice de Zéro Waste France de 2013 à 2020. Elle tire de cette expérience le constat que le recyclage est un "grand enfumage". Son petit livre d'une centaine de pages (2021) est riche d'informations, nourri d'exemples et de références. Aisé à lire et convaincant, il montre parfaitement le rôle néfaste des "eco-organismes", sociétés de droit privé aux mains des plus grosses firmes de production et de distribution des biens de consommation. À qui l'Etat confie, sans un suivi et un contrôle suffisants, le financement ("éco-contribution") et l'auto-promotion publicitaire des filières de recyclage des divers déchets et emballages (Ex CITEO).

Les collectivités le savent bien. Mais, plutôt que de dénoncer et de lutter contre cet authentique scandale, les intercommunalités préfèrent généralement incrimer les citoyens-usagers, consommateurs de base. En leur faisant payer, à des tarifs devenus prohibitifs, la collecte et le traitement leurs déchets. Ils en deviennent ainsi davantage les otages que les vrais "producteurs". Flore Berlingen pointe, quant à elle, bien mieux la responsabilité d'un "capitalisme productiviste" désormais sans frein ni limite. Elle plaide, à l'inverse, pour le retour à un réel service public des "communs".

Flore Berlingen, "Recyclage, le grand enfumage", Ed. Rue de l'échiquier, 125 pages, 13€


Extraits choisis

1 - Les "éco-organismes", des sociétés privées en conflit d'intérêts permanent

Leur rôle consiste notamment à collecter les "contributions"  (qui sont obligatoires dans la pratique, comme leur nom ne l'indique pas) des "metteurs  sur le marché" (producteurs ou distributeurs). Les éco-organismes doivent ensuite redistribuer les sommes collectées ou les dépenser directement pour financer le tri et le recyclage. Il s'agit de sociétés de droit privé qui doivent être agréées par l'État et respecter un cahier des charges élaboré en concertation avec tous les acteurs concernés, au premier rang desquels les collectivités locales. Mais elles sont créées, pilotées  et détenues par leurs adhérents, les metteurs sur le marché, c'est-à-dire les entreprises visées par cette "responsabilité élargie". (p.30)

2 - L'inefficacité de la "responsabilité" des éco-organismes

Leur vision de l'innovation ne relève pas du progrès, mais d'une irresponsabilité qui n'a que trop duré. Les éco-organismes des filières REP - on rappelle que le "R" signifie "responsabilité"- auraient eu, depuis leur début, la possibilité d'anticiper et d'éviter les nouvelles mises sur le marché de matériaux et objets non recyclables, puisqu'ils ont accès à une information de première main auprès de leurs adhérents, les producteurs eux-mêmes. Le fait qu'ils ne parviennent pas à enrayer ce genre de dysfonctionnement et bien la preuve de leur inefficacité. (p.35-36)

3 - Au-delà des seuls "gestes de tri" complexité de l'imbrication des acteurs

Incivilité, désintérêt, défiance, difficulté à adopter de nouvelles habitudes expliquent sans doute en partie résultats insatisfaisant. Mais les citoyens ont bon dos. Les choix d'organisation et de communication concernant le tri et la collecte des déchets ont une influence considérable en rendant plus ou moins facile pour les usagers la démarche de trier [...] Les modalités et la fréquence de la collecte lorsqu'elle est réalisée en porte-à-porte, l'implantation des points d'apport volontaire, la diffusion de l'information sur le tri, les choix de signalétique ou même tout simplement la présence de poubelles de tri adaptées dans l'espace public sont autant de facteurs qui vont encourager - ou pas - le geste de tri [...] Les citoyens usagers identifient généralement les collectivités locales comme responsables de l'ensemble de ses choix qui ont des répercussions sur leur vie quotidienne. C'est en partie exact, puisque les collectivités locales pilotent la collecte des déchets ménagers, mais d'autres acteurs sont concernés et leur responsabilités sont imbriquées (page 40) 

4 - Des reversements qui ne ruissellent pas

Qu'ils soient publics ou privés les opérateurs de la collecte sont dépendants des financements issus des filières REP et les jugent insuffisants. A chaque renouvellement d'agrément des éco-organismes et révision de leur cahier des charges, d'âpres négociations opposent l'émetteur sur le marché aux collectivités locales. Ces dernières, chiffres à l'appui, répètent inlassablement que le compte n'y est pas : les montants qui leur sont reversés par les éco-organismes ne suffisent pas  à couvrir les coûts de collecte et traitement des déchets concernés. Comment dans ce contexte, envisager une amélioration du service aux habitants, sauf à leur faire payer directement la facture ? La confiance des collectivités locales vis-à-vis des éco-organismes à en outre été ébranlée par plusieurs scandales et désaccords relatifs leur gestion financière. L'éco-organisme de la filière emballage, Eco-emballage (devenue depuis Citeo), a par exemple été épinglé en 2014 puis en 2016 par la Cour des comptes pour la rémunération élevée de ses dirigeants. L'éco-organisme avait été condamné auparavant pour ses placements dans des paradis fiscaux dans les années 2000, qui avaient provoqué la perte de plus de 20 millions d'euros.  (page 41) 

5 - Un non-respect du "principe de proximité"

Le problème est loin d'être réglé et pose à nouveau la question de la "responsabilité", non seulement celle des producteurs vis-à-vis de ce qu'ils mettent sur le marché, mais aussi des régions du monde les unes par rapport aux autres. Une partie de l'économie dite "circulaire", portée aux nues en Europe et en Amérique du Nord, n'est pas respectueuse des travailleurs et habitants des pays réceptionnaires des déchets à recycler et de leur environnement (...).  Il n'est pas normal que la perspective incertaine d'un recyclage serve de prétexte pour contourner le "principe de proximité" dans la gestion des déchets à ne pas éloigner, voire exporter, les nuisances et pollutions liées à notre niveau de consommation.  (p.56-57)

6 - Le mythe du recyclage à 100 % 

Le recyclage semble avoir cet avantage de s'attaquer à deux problématiques environnementales majeures  : la surconsommation des ressources et la surproduction de déchets. En réalité, il leur rapporte une réponse très partielle puisque les procédés de recyclage restent fortement consommateurs de ressources et d'énergie et ne constituent pas un débouché suffisant face à la quantité énorme de déchets produits. Les discours d'acteurs privés comme publics qui tendent à nous présenter une économie devenue soutenable grâce au tout-recyclage sont trompeurs. Ils entretiennent le mythe du recyclage à 100 % en faisant entendre que celui-ci est, ou deviendra, un cycle parfait - sans fuite - ce qui n'est pas le cas. Avec un succès certain, puisque 97 % des Français classent la mention "100 % recyclable" comme la plus évocatrice du respect de l'environnement. (...) la politique du tout-recyclage n'est donc pas seulement insuffisante, elle est devenue contre-productive. (p.78-79)

7 - La valorisation du recyclage comme alibi 

La promotion du geste de tri passe en effet quasi systématiquement par la valorisation du recyclage, sans réserves ni explications concernant ses limites. Nous avons vu plus haut que lorsque les campagnes de sensibilisation sont portées par les producteurs ou les éco-organismes, leur message est biaisé par le conflit d'intérêt dans lequel ils se trouvent. Mais les collectivités locales sont également concernées par cette sur-valorisation du recyclage. Les élus locaux se sentent obligés de défendre leur système de collecte et de traitement des déchets en en minimisant les écueils et les impacts. Le message envoyé est rassurant [il est devenu depuis culpabilisant, LNP], mais il limite le périmètre de responsabilité des détenteurs de déchets (citoyens, commerçants, entreprises) au simple tri. Nous pensons qu'il faut au contraire assumer pleinement que le recyclage n'est pas parfait et que les élus locaux n'ont pas le pouvoir magique de faire disparaître les déchets, malgré toute leur bonne volonté. Il faut cesser de souhaiter « faire de nos déchets des ressources », car cela sous-entend qu'ils ne sont pas problématiques, mais inverser l'injonction : « ne faisons pas de nos ressources des déchets ». (p.112-113).

8 - Sortir de l'enfumage du capitalisme productiviste par un retour du politique 

Le recyclage permet de ne pas reconsidérer le jetable et les intérêts économiques qui lui sont liés, et surtout d'éviter de se demander ce qu'il révèle - une sur-production et les origines de celle-ci - à rechercher dans les fondements du capitalisme et du productivisme. L'horizon rêvé d'une économie circulaire, de la même manière que l'idée de découplage entre croissance économique et dégradation de l'environnement, maintient dans l'illusion que notre mode de vie est sur le point de devenir soutenable. Cette illusion nous entraîne à repousser la question : celle du partage des ressources, non seulement entre notre génération et les futures, comme on l'entend souvent, mais également au sein de l'humanité entière. 

Le caractère capitaliste et productiviste du modèle de production des matières premières vierges comme recyclées dessine un rapport très particulier aux ressources naturelles : celui de l'exploitation, qui nous mène inévitablement à la sur-consommation. C'est bien cette logique, et non le recyclage en tant que technique ou principe, qui pose problème. 

Cela doit se traduire par un retour du politique (c'est-à-dire des débats sur ce qui constitue les priorités de notre société au regard des enjeux environnementaux) pour redéfinir ce qui peut relever du marché quoi en être decorélé. L'alternative, dans ce cas, n'est pas nécessairement à rechercher dans une gestion publique étatique des ressources. D'autres pistes de réflexion sont à explorer, sur les traces des "communs" : à différentes échelles géographiques. Au-delà de la propriété privée ou publique, sur la base de nouvelles modalités d'accès et de gestion, il s'agit de modifier radicalement notre rapport aux ressources (p.118-119)   

  

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