La Mafia du recyclage, Yvan Stefanovitch*
Extraits de la préface, p.9-18
« On peut parler d'écologie industrielle. Ses principaux
acteurs, les dirigeants des éco-organismes, restent de grands inconnus dans
l'Hexagone. Au moyen de pages entières de publicité dans les quotidiens
nationaux et régionaux Citéo, Ecosystème, Ecotextile, Ecomeubles nous font sans
cesse de belles promesses, toujours plus vertes.
La face cachée du recyclage
Aujourd'hui un peu moins d'un Français sur deux trie
régulièrement ses déchets. Bon ou mauvais trieurs payent au total près de 10
milliards d'euros par an pour faire collecter, trier traiter et recycler leurs
ordures depuis 20 ans. Cette dépense croît au rythme annuel de 4,3 %. Au-delà du recyclage qui
profite de ce business model orchestré à partir d'un geste dit "citoyen" ?
La Cour des comptes [dans son Rapport annuel 2023] se garde bien d'être trop sévère avec ces
« Intouchables » en charge de l'écologie industrielle. Elle ne
connaît que de très loin cette vingtaine éco-organismes [voir tableau ci-dessous], la plupart en
situation de quasi-monopole, chargés de gérer de financer et de développer le
recyclage des déchets ménagers et professionnels au sein d’autant de filières
de production. Le recyclage consiste à
dépolluer à déchet et à réutiliser le plus possible sa matière pour créer un
nouveau produit identique ou un autre. Les éco-organismes font réaliser toutes
ces tâches par des exécutants, les anciens [et toujours] rois des ordures : Veolia, Suez
ou Paprec.
Les éco-organismes en France |
« Responsabilité élargie du producteur » (REP)
Le 1er avril 1992 le code de l'environnement a créé la
responsabilité élargie des producteurs (REP). Son principe reste simple :
en France comme dans les autres grands pays développés, dans un cadre légal. L'industriel
qui a fabriqué un produit paye la gestion de la pollution en fin de vie des
produits qu'il a fabriqués devenu des déchets. Correspond à la notion de « pollueur-payeur »
définie par l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique).
Chaque éco-organisme est une société de droit privé dite d'intérêt général,
n'ayant pas le droit de faire de profit et qui doit être agréé par l'État pour six
ans.
Les plus gros producteurs distributeurs et importateurs d'une
filière industrielle sont en fait les plus grands actionnaires de chaque
éco-organisme placé en position de quasi-monopole ou de vrai monopole. Ils se
partagent chaque année une manne de 1,7 milliards d'euros en 2021, alimenté
suivant le principe pollueur-payeur par les industriels
distributeurs et importateurs qui payent des éco-contributions aux éco-organismes,
toujours au nom de l'intérêt général. Ces éco-organismes récupèrent ce pactole
et le redistribuent aux collectivités locales [très partiellement]. Celle-ci peuvent ainsi [très partiellement] compenser
leurs coûts supportés pour traiter les emballages.
Des « Intouchables » ?
Les incohérences, failles, scandales et mises en cause
judiciaire d’éco-organismes se sont multipliés depuis leur création à partir de 1992. Depuis, aucune
sanction administrative ou condamnation pénale n'a été prise à leur rencontre. Ce
sont des « Intouchables » auxquelles tout semble permis. Au conseil d’administration
d’Eco-emballage, devenu Citéo, siègent Coca-Cola PepsiCo, Danone, Nestlé,
Carrefour, Auchan, La Redoute, Heineken, L'Oréal, Système U (voir la liste du CA de Citeo ci-dessous)…
Le CA de Citeo : les loups dans la bergerie (source: site de Citeo) |
En fin de compte ce sont bien les consommateurs qui financent intégralement le recyclage des produits qu'ils achètent, pas du tout les producteurs qui ont simplement avancé l'argent au départ avant de se le faire rembourser discrètement sur les factures d'achat de leurs clients. Même l'ADEME (agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie) a avalé ce gros mensonge sans broncher.
L’ADEME, l'Etat et les collectivités roulé(e)s dans la farine
Ces grands actionnaires d'une vingtaine d’éco-organismes, grands patrons aussi de Danone, Nestlé, Coca-Cola, Whirlpool, Electrolux, Carrefour, Auchan et de quelques dizaines d'autres groupes ne cherchent pas et ne cherchent
toujours pas à avoir une influence sur l'exécutif. Ils mettaient et mettent
toujours en pratique le recul de l'État, théorisé par les grands penseurs
libéraux. Surtout ils convoitent l'autorité de l'État, la détourne à leur
profit sans le moindre état d'âme. Ils ont même ridiculisé à plusieurs reprises
ce même Etat sans provoquer la moindre réaction officielle. Ces « Intouchables »
roulent dans la farine l'État et les collectivités locales. Les administrateurs
de l'éco-organisme Citéo réussissent ce tour de force depuis plus d'une
vingtaine d'années en imposant leur point de vue malgré une législation en sens
contraire. Les éco-organismes sont devenus en quelque sorte plus puissants que
l'État en matière d'organisation du recyclage. Ces « Intouchables » échappent
à toute sanction toute condamnation et lui imposent leur volonté. »
* Yvan Stefanovitch, « La Mafia du recyclage,
entre monopoles, gaspillage et conflits d’intérêts », , Editions du
Rocher, 2023, 262 p.,19,90€.
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